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le blog de cédric oberlé, écrivain "jeune" pousse de la littérature, j'ai créé ce blog pour promouvoir mon premier roman "Requiem pour l'Oubli" et partager ma nouvelle passion de l'écriture (un truc qui m'est tombé dessus sans que je m'y attende).

Kadidiatou ou les fruits du courage

Cédric

Voici le texte qui m'a permis de remporter le 3ème prix du concours de nouvelle d'Illfurth. Profitez : un cadeau d'un comptable, c'est pas tous les jours ! C'est loin de mes productions habituelles mais ça a été un petit exercice plaisant.

 

Kadidiatou ou les fruits du courage

La petite Kadidiatou se promenait sur la terre chaude et aride de son minuscule village du Mali, entre la vache maigrichonne et les trois chèvres faméliques que possédait sa famille. Elle aurait voulu courir, s’amuser, rire, mais le soleil cuisant lui avait déjà pompé le peu d’énergie apportée par son dernier sommeil. Sommeil agité de sombres cauchemars. Etait-ce la faim la tenaillant qui lui faisait voir tous les membres de sa famille se faire dévorer par cet horrible monstre, à la bouche si démesurée qu’on en devinait à peine le corps ?

Heureusement, chaque matin, tout le monde répondait à l’appel : son père, sa mère, ses grands-parents, ses frères et sœurs, oncles et tantes, cousins et cousines… Du moins jusqu’à aujourd’hui.

D’ailleurs « répondre à l’appel » ne décrivait pas bien la situation de ces fantômes, qui flottaient plus qu’ils ne se déplaçaient, au milieu de ce tableau de misère. Entre les derniers nés aux os saillants et à la peau déjà aussi craquelée que les plus anciens de leurs ainés, et ces mêmes ainés qui ne se mouvaient guère plus que pour répondre à leurs besoins naturels, tous semblaient évoluer dans un monde parallèle. Minéral. Presque mort.

Les autres adultes s’en sortaient à peine mieux, eux aussi amoindris par cette douleur qui, sans relâche, embrasait de son feu dévorant, l’intégralité de leurs appareils digestifs. Mais eux n’avaient pas le choix. Ils devaient bouger pour survivre et assurer la survie des plus faibles.

« Répondre à l’appel » ? Malheureusement celui du ventre n’était que trop rarement entendu ici.

Kadidiatou, pourtant, était faite d’un autre bois. Du bois dur. Ce qui lui manquait de force physique, elle le compensait par une volonté héritée de ses ancêtres, les guerriers sarakholés. Cette volonté, elle ne voulait plus la garder enfermée en elle, barrée par un mur dont les briques si puissamment cimentées entre elles, portaient les noms de désespoir, douleur, maladie, ou encore faim et soif. Oui, surtout faim et soif…

C’est pourquoi elle alla voir son grand-père pour lui demander conseil : comment pouvait-elle, elle la petite Kadidiatou, aider la communauté?

Le vieil homme lui répondit simplement que la solution ne se trouvait pas ici, sur cette terre stérile, à la matrice entièrement déréglée par cette maudite sécheresse. Il fallait qu’elle se sauve elle-même avant de pouvoir sauver les autres. Pourquoi n’irait-elle pas faire un tour au village voisin ? D’après les souvenirs qu’en avait Grand-Père, il était bien plus grand, riche et nourrissant.

Kadidiatou décida d’aller faire une promenade, certes pas digestive, mais peut-être instructive, du côté de la petite cité située à une dizaine de kilomètres. Elle erra dans ses ruelles au hasard, mais se confronta vite à la méfiance de la population. Ils avaient des vivres. Plus qu’il n’y en aurait jamais chez elle. Mais au détour d’une boutique, un commerçant lui expliqua que les habitants devaient se montrer économes ici aussi. Pas pour cette année, mais pour les suivantes. Car les périodes de disettes étaient bien trop nombreuses pour accepter de jouer aux banques alimentaires pour les étrangers. Il lui donna cependant un conseil : celui de pousser encore un peu plus loin son aventure vers le nord. Quitter le Mali pour rejoindre un pays avec des provisions mille fois plus importantes.

La fillette s’assit sur le trottoir pour réfléchir. Aller au Nord ? Oui, il avait raison : c’était forcément mieux au Nord. Plus riche, plus facile. Son grand-père l’avait avertie : elle devait cultiver son intelligence grâce au terreau de l’expérience qu’elle allait se forger. Elle pourrait ainsi récolter les fruits de son labeur, et approvisionner le village de son savoir et de son savoir-faire. Et plus elle irait loin, plus elle assurerait le ravitaillement de ces savoirs.

La gamine se remit alors en marche, donnant foi à ce que lui disait le commerçant. De toute façon, si elle voulait encore y croire un tant soit peu, elle devait alimenter le petit feu qui couvait encore en elle. Et l’espoir était le seul combustible à sa disposition pour faire bouillir la marmite de sa volonté.

Après un voyage d’autant plus éreintant que les kilomètres avalés ne signifiaient aucunement plus de nourriture à ingurgiter, elle parvint finalement à destination, où elle se mit immédiatement en quête d’argent, de travail ou de bonnes âmes… Tout ce qui pouvait se transformer en pain, riz, eau…

Une semaine passa à devoir digérer les insultes, le mépris et parfois même les coups des gens de la ville portuaire qui ne voyaient en elle qu’un pique-assiette. Car ils se trouvaient être encore plus soupçonneux ou plus indifférents dans cette partie du monde. Et elle en arriva à leur donner raison. Les maigres récoltes familiales et quelques litres de lait des animaux domestiques avaient simplement été remplacés par les croutons donnés gracieusement par des badauds, mais aussi et surtout par le chapardage de quelques fruits et légumes. Mais elle avait encore tellement faim !

C’est alors que son entreprise commençait à lui paraitre bien vaine, qu’elle croisa la route d’un jeune homme, à peine plus âgé, qui lui apprit une grande nouvelle. La recette d’une vie meilleure ne se trouvait ni au Mali, ni ici, ni à aucun autre endroit de ce continent. Non. Mais il avait entendu parler d’un pays où la nourriture était si abondante que même les poubelles en débordaient ! Ce pays s’appelait la France. Il allait d’ailleurs prochainement embarquer pour son rêve.

Kadidiatou ne tergiversa pas n’ayant croisé, tout son périple durant, ni richesse, ni opulence, ni même un repas complet. Oh ces choses-là existaient bel et bien dans certains lieux des régions traversées, même si ces dernières n’étaient que trop souvent l’image de la pauvreté et de l’indigence. Mais la petite fille n’avait pas accès à ces oasis, se faisant régurgiter aussitôt leurs portes franchies, par des gens qui oubliaient, ou plus sûrement ne voulaient pas écarter les feuilles de palmiers pour regarder au-delà de leurs tables si abondamment garnies.

Sa détermination restaurée, elle reprit une nouvelle fois la route mais se heurta rapidement à un nouveau problème. Un problème bleu, vaste et souvent agité. Le jeune homme l’avait informé de l’existence d’un réseau qui, contre monnaie sonnante et trébuchante, pouvait la faire traverser cette imbuvable étendue d’eau. Cependant elle n’avait pas de monnaie. Et comment contracter une dette quand on était incapable de se payer une datte ? Elle prit plutôt son courage à deux mains, et décida de se glisser dans la cale d’un vieux rafiot qui appareillait pour une ville du nom de Marseille. Elle n’était pas sûre d’elle, mais Marseille, ça sonnait français !

Cachée aux yeux des membres d’équipage qui la terrorisaient, avec leurs tatouages, leurs grosses barbes et leurs yeux pleins de méchanceté, elle ne put résister à l’envie d’ouvrir un des petits sacs de farine qui encombraient la quasi-totalité de l’espace. Elle y goutât, mais même la farine se jouait d’elle. Elle avait un goût trop bizarre, amer, qui ne lui disait rien qui vaille. Une farine se périmait-elle ? Et pourquoi un des marins l’avait-il mangée en l’aspirant avec son nez ? Peu importait ! Si son estomac la martyrisait continuellement, il était hors de question de s’empoisonner.

Parvenue enfin à Marseille, elle se mit à la recherche d’un mât de cocagne qui lui apporterait assez de victuailles pour se nourrir convenablement et, pourquoi pas, pour en envoyer à son village. Las ! Elle tourna et tourna et tourna encore en rond. Les seuls mâts de cocagne qui jalonnaient les trottoirs qu’elle arpentait, se matérialisaient  sous la forme de poubelles saturées de détritus en tous genres. Certains alimentaires certes, mais déjà convoités par des rongeurs énormes à l’allure effrayante. Et les autochtones cette fois ne la voyaient même plus, le plus souvent happés par un curieux petit objet rectangulaire et lumineux. Elle renonça à les aborder, sachant bien que leur défiance envers elle serait encore plus forte.

La faim dévorait son esprit et son corps à tel point qu’elle dût se résoudre une nouvelle fois à faire ce qu’elle détestait le plus au monde : voler. Mais cette fois, elle se fit prendre par de grands hommes aux majestueux costumes bleus, qui lui expliquèrent qu’elle n’avait rien à faire dans leur beau pays et qu’elle allait immédiatement être reconduite à la frontière. Si elle ne savait pas ce qu’était une frontière, Kadidiatou comprenait malgré tout que cela signifiait la fin des haricots. Même si pour l’occasion, elle eut droit au plus fabuleux repas qu’elle n’ait jamais eu. Un grand oiseau de fer l’avala toute crue dans son ventre, avant qu’elle ne finisse le voyage vers son village natal dans un bus, moyen de transport beaucoup plus académique pour elle.

Elle retourna voir son grand-père pour lui faire part de ses désillusions. Un si grand périple pour un si petit résultat. Mais son grand-père l’encouragea encore.

- Ne baisse pas les bras petite Kadidiatou. Es-tu certaine d’avoir eu assez de cœur au ventre ? Maintenant que tu connais un peu mieux la saveur de ce monde, ne veux-tu pas y goûter à nouveau ?

- Mais Grand-Père ! J’arrive à peine à me restaurer quand je m’en vais aussi loin. Comment pourrais-je rapporter suffisamment de denrées pour sustenter toute ma famille ?

L’ancien, qui souhaitait uniquement qu’elle trouve son propre salut, sourit des quelques dents qui lui restaient en ajoutant simplement :

- Va ma petite. Ecoute ton grand-père.

Il savait que son village était condamné, mais qu’elle pouvait s’abreuver aux puits de savoir qui se présenteraient à elle. Et ainsi connaître une vie meilleure. Si seulement elle ne revenait pas…

Kadidiatou se lança alors sur les mêmes voies qu’elle avait déjà empruntées il n’y avait pas si longtemps, se demandant à quelle sauce elle allait être mangée cette fois. Elle ne savait pas si elle se jetait dans une histoire sans fin, mais espérait de tout son être qu’elle soit, enfin, sans faim.

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